Violences conjugales et attachement
Un commentaire d'un Interne en Psychiatrie
« Chaque année, 216 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont
victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur ancien ou
actuel partenaire intime » (Andro A. et Lesclingand M., Les mutilations sexuelles
féminines, in Population & sociétés, n°438, INED, octobre 2007, Chiffres
clés 2012, l’égalité entre les femmes et les hommes.)
Le phénomène des violences conjugales, et principalement des
violences faites aux femmes, peut être abordé sous de nombreux prismes :
social, historique, statistique, législatif, économique, philosophique, pour ne
citer que ceux-là. L’objet de cette note sera d’aborder ce phénomène à l’aune
d’une conception psychologique des relations humaines, la théorie de
l’attachement.
Un phénomène, qu'il soit physique, institutionnel, social…
peut être symbolisé comme un symptôme. Un symptôme n’est pas une maladie et ce
n’est pas une étiologie. Un symptôme c’est la traduction visible, ressentie,
d’un dysfonctionnement. Un symptôme peut avoir plusieurs causes. Un exemple
concret : une douleur abdominale n’est pas toujours l’expression d’une
appendicite. Parfois c’est le signe d’une gastro-entérite, parfois d’un cancer colorectal.
Parfois encore, c'est un signe d’angoisse.
Le phénomène des violences conjugales est le symptôme d’un
dysfonctionnement au sein d'un système. Ce système c'est le couple. On pourrait
exprimer ces violences comme la traduction visible d’une maladie de la relation
romantique. Sans que le symptôme, c’est à dire la violence, ne permette de
préjuger à première vue de la maladie en cause. Ainsi, il est bon de définir le
système dysfonctionnel : qu’est-ce qu’un couple ? Et de définir le symptôme :
qu’est-ce que la violence ? Alors seulement, il est possible de réfléchir au
chaînon manquant : quel est ce dysfonctionnement, cette maladie, (ou quelles sont-elles
?) qui agite le couple au point de produire le symptôme, le passage à l’acte
hétéro-agressif ?
« Couple » peut se définir selon le Littré comme : « Lien
pour attacher ensemble deux ou plusieurs choses pareilles » s’il est pris au
féminin « une couple » (étymologiquement au féminin). « Un couple », en
revanche, se définit comme : « Le mari et la femme, l'amant et l'amante, ou
deux personnes vivant ensemble dans des relations d'amitié ou d'intérêt ». La
première définition insiste sur l’origine étymologique du mot, comme le lien
unissant deux personnes. L’extension s’est faite par métonymie pour désigner
les objets de ce lien, ici les amoureux.
Ce qui caractérise le lien du couple est donc une relation «
d’amitié ou d’intérêt ». Pour des facilités de démonstrations la relation
amicale n’est pas en jeu dans cet exposé. Ceci étant dit, il est bien évident
qu’une complicité amicale peut se retrouver au sein d’une relation romantique.
Ainsi, on sépare artificiellement la relation amicale et la relation
romantique. La relation romantique est donc caractérisé par un lien « d’intérêt
». Ce terme a priori péjoratif prend
pourtant bien tout son sens dans le cas présent : chaque personne au sein d’un
couple possède des attentes et des besoins vis à vis de l’autre. Il arrive que
ces besoins et ces attentes divergent, et que la communication s’en trouve
compliquée, menant au conflit. Ce sera le point d’ancrage de la théorie de
l’attachement pour expliquer les dissensions au sein du couple.
Sans se livrer ici à une analyse phénoménologique de la
violence, il convient de fixer les termes de violence, d’agressivité et
d’agression. « Violence » est définie dans le Littré par « qualité de ce qui
agit avec force ». Une définition intéressante revient à Yves Michaud (1978), «
il y a violence quand, dans une situation d’interaction, un ou plusieurs
acteurs agissent de manière directe ou indirecte, en portant atteinte à un ou
plusieurs autres, à des degrés variables, soit dans leur intégrité physique,
soit dans leur intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs
participations symboliques et culturelles ».Cette définition s’attache à la
violence dans sa dimension relationnelle et du point de vue de la victime. Il
est un point central à dénoter à ce stade : aucune des deux définitions ne
s’appuie sur l’intentionnalité du sujet violent. Pour reprendre Sophie
Barthélémy, « Lorsque le sujet a du mal à donner du sens à ce qu’il vit, la
qualité de la relation à l’autre est touchée. La Violence fondamentale
(Bergeret, 1984) peut alors être mise en acte ». La violence fondamentale c’est
la force de vie, voire de survie, dans son expression défensive la plus
archaïque, la moins sublimée, au décours d’un péril narcissique envahissant. La
violence c’est le retour à « lui ou moi » pour l’existence. Cette notion sera
reprise en abordant les conflits à l’aune de l’attachement.
« Agressivité » : résulte de la combinaison secondaire entre
dynamismes violents normaux et dynamismes érotiques (Morasz, 2002) (comprendre
ici : dynamisme de plaisir). On observe parfois une érotisation agressive de la
violence fondamentale qui survient en réponse à une faiblesse narcissique
préalable et qui entraîne de façon privilégiée le sujet vers des pulsions destructrices
(plaisir de et dans la violence); citons les structures perverses, rares au
demeurant. Si la violence ne présente aucune intention de nuire, l’agressivité,
aux prises avec l’amour et la haine, concerne un objet nettement identifié et
s’articule avec un relatif sentiment de satisfaction et parfois de la
culpabilité. L’agressivité est donc davantage secondarisée et inscrite dans un
certain degré d’intégration de l’ambivalence affective, contrairement à la
violence qui est plus une réaction automatique destinée à diminuer une angoisse
de destruction par l’autre.
A présent, comment comprendre la survenue d'un mouvement
violent au sein du couple, à travers la théorie de l'attachement ?
L'attachement est une théorie des relations
interpersonnelles, issue de l'éthologie animale et explorée secondairement dans
le champ de la psychologie humaine.
Elle propose une hypothèse biopsychosociale selon laquelle
le rôle premier de la figure d'attachement (mère, père, tuteur...) serait
d'apaiser le sentiment d'angoisse de l'enfant en le protégeant, permettant
ensuite à ce dernier d'explorer son environnement, de manière apaisée.
Ainsi, schématiquement, lorsque le bébé est en danger
(menace d'une séparation avec la FA = danger face a d'éventuels prédateurs), la
FA va apaiser le bébé (carrying, contact peau a peau, réponses verbales et non
verbales). Une fois que le bébé est apaisé il peut retourner explorer son
environnement (jouer, se construire...).
Cette étape se fait essentiellement de la naissance à 5 ans.
Elle va inscrire dans le cerveau du bébé un modèle d'interaction entre lui et
le mode sur des variables que sont : la confiance en l'autre (pour être
disponible en cas de besoin) et l'estime de soi (être digne d’être aimé). Ces
représentations se fondent donc sur un ensemble d'expériences précoces,
interagissant avec un bébé au code génétique unique et donc aux besoins
singuliers.
Plus tard, ces représentations conditionnent notre rapport
au monde et au aux autres en terme : d'attentes, de besoins, de lecture
émotionnelle des situations, de pattern relationnels... C'est à dire qu'elles
définissent qui nous sommes dans des aspects très diffus de notre personnalité.
Lorsque la FA s'est montré suffisamment disponible,
rassurante, et que le bébé a réussi à se satisfaire en terme affectif et
anxiolytique, il est capable de développer un attachement dit
"sécure": "les autres sont fiables et je n'ai pas de raison de
m'inquiéter car je vaux suffisamment pour intéresser les autres". Cela les
rends flexibles dans leurs relations, aptes à entendre leurs besoins, les
communiquer tout en s'adaptant aux attentes et besoins de leurs interlocuteurs.
Cela représente 40% de la population.
Néanmoins, il arrive que les représentations marquantes
soient plus négatives. Des relations difficiles, des événements de vies, un
environnement délétère, a cheval sur une susceptibilité génétique, favorisent
un attachement dit "insécure".
On retrouve classiquement 2 types d'attachements insécures :
les anxieux-ambivalents et les évitants.
Les premiers se caractérisent par des patterns de dépendance
affective, de crainte du rejet continue, de quête de proximité émotionnelle. En
cas de menace de séparation, ils réagissent en "hyperactivation".
C'est à dire qu'il mobilise la FA par des plaintes intenses et répétées. Ils
peuvent devenir agressif, s'impatienter, pour obtenir l'attention souhaiter.
Pour eux, la confiance en l'autre comme source d'apaisement est démesurée mais
la certitude concernant leur disponibilité est altérée. Leur estime d'eux même
les amène a douter de leur valeur et donc de leur attrait aux yeux de la FA.
Ils sont si préoccupés par leurs besoins qu'ils ne peuvent pas faire de place à
ceux de l'autre. Ils représentent 20% de la population.
Le deuxième groupe, les évitants, se présentent comme des
personnes indépendantes, limitant l'accès à leurs émotions et le rapprochement
trop intime. Ils craignent une perte de leur autonomie s'ils se laissent aller
à une relation de dépendance affective.
En cas de menace de séparation avec la figure d'attachement,
ils fuient. Ils ont appris que l'autre (le modèle de l'autre) n'est pas fiable.
Ils apprennent a ne compter que sur eux. En trompe l'oeil, une bonne estime
d'eux même leur permet d'évoluer en cavalier seul, sans chercher de soutien
lors des difficultés. En réalité, la crainte de vivre l'abandon est
inacceptable et ils inhibent toutes les émotions en lien. Ils négligent leurs
besoins et leurs attentes en terme d'attachement et ne peuvent se confronter aux
besoins de l'autre dans une relation intime, car cela les amènerait a se mettre
en danger. Ils représentent environ 20% de la population.
Une dernière population (1%), représente l'attachement
désorganisé. Une forme très insécure d'attachement oscillant entre les deux
premières avec une altération massive de l'estime de soi et de la confiance en
les autres.
Au sein des relations amoureuses, Mikulincer et Shaver, ont
démontré que les comportements d'attachement étaient réactivés. Le partenaire
romantique représente une FA de substitution. Ces relations sont l'occasion de
revivre les expériences d'attachement précoces et entrainent donc une
réactualisation de certaines difficultés antérieures.
Qu'en est-il donc, du lien entre insécurité d'attachement et
violences conjugales ?
Une littérature abondante suggère une imputabilité des
attachements les plus insécures (notamment désorganisés) dans les violences
conjugales.
Une étude s'est intéressée aux "mismatch" des
insécurités d'attachement favorisant les violences dans les couples femme
anxieuse-ambivalente et homme évitant. Une autre suggère qu'il s'agit d'une
inadéquation entre les besoins respectifs de distance et de proximité.
Les attachements désorganisés étant le fruit d'histoires de
vie souvent chaotiques, marquées par de la maltraitance (physique,
psychologique, sexuelle) ou de la négligence, la tendance à perpétrer des actes
violent s'étend au-delà du trouble de l'attachement, et ne sont pas l'objet de
cette note. En effet, la co-morbidité commune avec d'autres troubles de la
personnalité nécessiterait une lecture approfondie à part entière. Leur
importance statistique est néanmoins majeure, et cette population du fait des
co-morbidités psychiatriques plus sévères est responsable des passage a l'acte
les plus sévères et récurrents.
Ce que l'on va illustrer ici, c'est le basculement dans la
violence qui peut survenir en l'absence de pathologie psychiatrie (les troubles
de l'attachement étant considérés comme des facteurs de risque mais pas des
pathologies, à l'inverse des troubles de la personnalité, plus marqués).
Une vignette clinique illustratrice est celle concernant le
couple de l'homme évitant et la femme anxieuse-ambivalente (statistiquement
majoritaire). On retrouve régulièrement des récits de femme rapportant une
altercation avec leur époux ayant provoqué des passages à l'acte
hétéro-agressif de ce dernier. Elles rapportent qu’elles ne comprennent pas,
que leur partenaire est d'habitude quelqu'un de calme. L'homme est souvent dans
une culpabilité immédiate, mais la scène peut être amenée à se reproduire.
Quelle lecture la théorie de l'attachement nous offre-t-elle
?
Ces situations sont souvent imputables à des conflits
interpersonnels qui animent le couple, au sein desquels l'asymétrie entre les
besoins (notamment de proximité et de distance) de chaque protagoniste se
trouve à son paroxysme.
Alors que l'anxieux-ambivalent dans un sentiment de menace
de rupture réelle ou symbolique (rupture réactivant des angoisses très
archaïques de perte de protection et de danger de mort) a appris à hyperactiver sa demande pour
parvenir à une proximité rassurante, l'évitant, lui, a besoin de se protéger en
éteignant toute information relative à la rupture (et les émotions inhérentes)
et à fuir.
Dans une situation d'impasse au sein de la discussion, ces
deux besoins, très archaïques, échappent au contrôle méta-cognitif (c'est à
dire a la contextualisation de la situation et la relecture des émotions de soi
et de l'autre) et entraînent des réactions de survivance. Les mots n'existent
plus et les gestes prennent le relais. L'un comme l'autre, peuvent se montrer
violent, dans une logique de soulager l'angoisse qui les anime (sous couvert
d'un vécu de colère).
On retrouve alors des débordements pulsionnels ayant pour
but non pas la violence-plaisir mais la violence-protection.
On perçoit alors qu'il est crucial sur le plan thérapeutique
d'apprendre aux membres du couple a revisiter leur représentations, en lien
avec le passé, afin de pouvoir modifier leur régulation émotionnelle
(hyper-activation vs suppression) et enfin de pouvoir revoir leurs modalités de
communications.
En conclusion, la violence est un symptôme au sein d'un
système qu'est le couple. Cette violence qui doit toujours alerter, ne doit pas
faire oublier l'analyse des mécanismes qui la sous-tendent : Quelle maladie
habite le couple ? Ces quelques lignes ont pour but d'attirer l'attention sur
une dimension bilatérale, interactionnelle, de la violence conjugale. Elles ne
résument pas les violences faites aux femmes au sein du couple; elles tendent à
décentrer l'attention de l'agressivité pathologique d'un des membres, vers une
vision plus intégrative du contexte relationnel et du rôle de la
violence-protection et non de violence-destruction au sens de l'intentionnalité
(inconsciente et impulsive).
Lorsque les mots ne suffisent plus
Miga EM, et al. Attach Hum Dev. 2010
Marcus RF. Violence Vict. 2012
Schneider C, et al. J Marital Fam Ther. 2014
West M, et al. Attach Hum Dev. 1999.
McClellan AC, et al. J Nurs Scholarsh. 2000.
Doumas DM, et al. J Interpers Violence. 2008.