Il semble bien que vous ne soyez pas tous partis à la mer et encore moins habiter des châteaux en Espagne. Du coup, pour ceux qui souhaiteraient une autre sociabilité que celle des réseaux sociaux numériques, nous vous convions à un débat, dans une guinguette : Le Petit Bal Perdu à Noé (31410).
La question qui nous occupe est simple. Avons nous besoin d'autre chose que de Facebook, Snapchat et autres Whatsapp ou Skype pour être heureux ? Que nous apporte ou nous apporterait pour les plus numérique, une sociabilité "Hors ligne" que ne peut pas nous apporter celle proposée par les services numériques.
Il n'est pas question de discuter de notre besoin de lien social. Dans l'Antiquité, Aristote (384-382 av. J.C.) pose que la société humaine est aussi naturelle que les diverses sociétés animales. L'homme est un « animal politique » (Polis signifie « cité » en grec: le terme de « politique » n'est donc pas à prendre dans son sens moderne). L'homme, dit Aristote, n'est ni un Dieu, ni une bête: il doit vivre en communauté. Celui qui vit à l'écart, parce qu'il n'éprouve pas le besoin d'être avec les autres ou parce qu'il en est incapable, ne peut pas être considéré comme un homme.
Notre sociabilité en "face à face" baisse bien. Elle a a fait l’objet de vérifications statistiques. Il y a bien une baisse de la sociabilité en face-à-face des Français. Cette affirmation est aussi au cœur de la thèse de Putnam (2000) pour qui la sociabilité des Américains s’est dégradée sur les cinquante dernières années.
Depuis 18 mois, le choix ne nous est même plus donné : plus de bise, d'embrassade ,de grande manifestation de foule. Qu'est ce qui nous manque, s'il nous manque quelque chose. Pourquoi est-ce important ou pas ?Certains répondrons le sexe. Mais le sexe est de plus en plus un pratique solitaire. Et si après l'amour l'animal est triste, l'est-il après Facebook?
Alors ? Avons nous besoin de nous toucher, de nous renifler de nous sentir pour être heureux ou peut on le remplacer par d'autres type de message, par des messages électroniques, par les réseaux sociaux ? Meetic crée la rencontre, mais devons nous la "dévirtualiser" ? La rencontre physique nous apporte elle plus de bonheur ?
Et le virtuel peut-il nous caresser ?
Les Sextoys connectés
Ils s’appellent Kiiroo ou encore Lovense, et ils arrivent. Pour notre plus grand bien… Les sextoys connectés (aussi appelés sextoys télédildoniques) ne sont pas de simples sextoys. En effet, ceux-ci permettent d’échanger en temps réel les mouvements effectués depuis et vers un autre jouet.
Ce café philo est une rencontre est en physique pas de visio :)
Quelques références
- « Nous ne pouvons pas vivre sans contact physique » Saverio Tomasella
- Impact des réseaux sociaux sur la sociabilité 2016 Godefroy Dang Nguyen, Virginie Lethiais
La sociabilité, une pratique culturelle
François Héran
Les Français discutent en une semaine avec dix-sept personnes différentes sur des sujets non professionnels. Parents, collègues et amis composent presque à égalité les trois quarts de ce réseau, le reste se partageant entre le voisinage, les associations, les commerçants, les simples relations. On observe une présence plus affirmée des amis pendant la jeunesse, des collègues pendant l'âge mûr, de la parenté pendant la vieillesse. Les comportements de sociabilité restent marqués par le partage traditionnel des rôles entre les sexes : c'est d'abord aux femmes qu'incombent les relations avec les proches — parents, commerçants, voisins. En milieu populaire, toutefois, celles qui exercent une activité professionnelle diversifient sensiblement leurs contacts.
Les relations de parenté mises à part, les diverses composantes de la sociabilité tendent à se cumuler : un dixième des actifs concentrent le tiers des discussions personnelles entre amis ou collègues. Plus liée au diplôme qu'à la fortune, la sociabilité présente tous les traits d'une pratique culturelle...
Le dixième de la population active concentre un tiers des discussions entre amis ou entre collèguesUn des aspects de la corrélation entre sociabilité et capital culturel est que le fait que les plus fortes concentrations de relations s'observent dans des groupes sociaux numériquement très restreints. L'examen des carnets est éloquent : professions libérales, professeurs, artistes, fonctionnaires du « cadre A », instituteurs et travailleurs sociaux ne représentent, réunis, que 1 0 % de la population active masculine, mais rassemblent 34 % de ses relations d'amitié ou 35 % deses relations de travail, et « seulement » 24 % de ses relations de parenté et 23 % de ses relations de voisinage. La situation des ouvriers est inverse : 35 % des hommes actifs sont ouvriers qualifiés ou non qualifiés, ce qui en fait de loin le groupe social le plus nombreux, mais on ne peut leur imputer que 1 7 % des relations amicales attestées dans la population active, 1 5 % des relations de travail, 1 5 % des relations de voisinage. Et si la parenté prend dans leur modeste réseau une importance relative qu'elle n'a pas dans les classes supérieures, elle ne représente encore que 20 % des relations de parenté déclarées par l'ensemble des actifs. Le fait que, dans l'ensemble, les diverses composantes de la sociabilité se cumulent au lieu de s'exclure et restent très concentrées dans l'espace social remet en place quelques idées reçues. À la suite de Georg Simmel, qui fut au début du siècle l'un des premiers sociologues à mettre la sociabilité au centre de ses préoccupations, on a souvent tiré argument de la pluralité des rôles sociaux endossés par chacun pour affirmer qu'elle donnait du jeu au comportement individuel et venait desserrer les contraintes sociales. Au lieu d'être pris dans un rôle unique, vous êtes tour à tour parent, ami, voisin, collègue," membre d'une association, etc., en sorte que vous n'investissez jamais qu'une fraction de votre personne dans chacune de ces activités. Simmel voyait dans la grande ville un lieu par excellence de cette libération. Mais, à la lumière des résultats exposés ici, cette image de l'agent social multicartes apparaît sous un autre jour. Ce n'est pas parce que l'on passe d'un secteur de la sociabilité à l'autre que l'on devient un autre homme. La même personne cumule les divers rôles et elle ne pourrait le faire si elle ne détenait pas un même ensemble d'atouts, très inégalement répartis. C'est encore le monde social qui alloue à certains la faculté de pouvoir joueravec lui.
Dans une autre étude :
Dans une autre étude :
Les catégories socio-professionnelles les plus aisées ont cessé d’être complètement assurées de leur présent et de leur avenir. Le diplôme, les héritages immobiliers, culturels, le capital social, ne suffisent plus à être et à se sentir en sécurité, ne suffisent plus à avoir du temps et de l’énergie à consacrer aux sociabilités familiales, amicales, amoureuses. Le travail peut être dur, épuisant psychologiquement et physiquement. Si le travail peut favoriser le capital social, la valorisation de soi, permettre de devenir et de rester quelqu’un d’intéressant, il peut aussi être destructeur et réduire à néant le réseau de relations sociales. Il y a des personnes qui sont happées par leurs engagements professionnels.
D'une autre étude
Les jeunes sont aussi ceux qui font le plus état de la dégradation de certaines relations Grossetti, Michel (2021), « La sociabilité des jeunes éprouvée par le confinement », La vie en confinement : études et résultats, n° 6, mis en ligne le 11 mars 2021, https://vico.hypotheses.org/273.FIGURE 6 : MENTIONS DE RELATIONS DÉGRADÉES SELON L’ÂGE Pendant le premier confinement
- Source : Enquête Vico, avril-mai 2020.
- Champ : Répondant·es de 18 ans et plus résidant habituellement en France (N = 16 224).
- Lecture : 23,5 % des 18-30 ans mentionnent des relations dégradées depuis le début du confinement.
Quelques points de repère
« les relations vont aux relations »
Ceux qui ont le plus de contacts avec leur famille en ont aussi plus avec leurs amis, ou participent plus à des activités de sociabilité (associations…). Et si les catégories socio-professionnelles se distinguent par la structure de leur contact, il s’établit une « hiérarchie » de la pratique de sociabilité, liée en partie au revenu mais plus au diplôme donc au capital culturel, ce qui fait dire à Héran que la sociabilité est une « pratique culturelle »
Définition
La sociabilité est l’ensemble des interactions sociales qu’un individu développe au quotidien : la finalité n’est pas d’accumuler un « capital » ; le terme « sociabilité » a donc un sens un peu plus large.
Effort
Dans l’idée de capital social, l’individu produit un « effort » qui peut bénéficier à ceux avecqui il interagit
Thèse
Liens forts et lien faibles
Autres articles
Acte : Avons-nous besoin d’une autre sociabilité que la sociabilité “en ligne” ?
Le sujet
Avons-nous besoin d’une autre sociabilité que la sociabilité en ligne ?
La méthode Christian en “hors-ligne” avec les adultes
L’animateur tente par sa méthode de préserver deux objectifs : la rigueur de la pensée avec les trois éléments nécessaires que sont: problématisation, conceptualisation et argumentation, mais en gardant aussi l’objectif de conserver un débat libre et fortement interactif qui sert l’autre but qui est de donner la parole dans un cadre simple et ouvert aux participants.
Il n’y a donc pas de “tour de parole” ni de main levée. Le débat peut donc très facilement dévier et fortement s’animer. Le rôle de l’animateur est alors de piloter dans des dérapages qui se veulent contrôlés, les sorties de routes inévitables, et de replacer la parole des participants dans la recherche proposée en rappelant le sujet et en proposant la parole à ceux qui la prennent le moins.
Il y a donc d’une certaine manière un équilibre entre la rigueur de la pensée philosophique et la liberté laissée à une expression spontanée parfois plus émotionnelle que réfléchie.
Le lieu
Le lieu choisi est important. Il s’agit d’une guinguette en milieu rural. Lieu de convivialité “hors ligne” par excellence, il sera désert pendant nos débats à cause d’une pluie incessante nous obligeant à nous rassembler sous un barnum.
Introduction
L’animateur a fait une introduction devant trois personnes (50 ans environ) pour définir la notion de sociabilité et la notion de lien fort et faible.
Le sujet est précisé par l’animateur comme n’étant pas une recherche sur les bénéfices de la sociabilité hors ligne mais une recherche introspective sur les éléments somatiques et psychologiques créés par les deux types de relation.
« Les relations vont aux relations » :
Ceux qui ont le plus de contacts avec leur famille en ont aussi plus avec leurs amis, ou participent plus à des activités de sociabilité (associations…). Et si les catégories socio-professionnelles se distinguent par la structure de leur contact, il s’établit une « hiérarchie » de la pratique de sociabilité, liée en partie au revenu mais plus au diplôme donc au capital culturel, ce qui fait dire à Héran que la sociabilité est une « pratique culturelle »
Les personnes qui échangent le plus en face à face sont aussi celles qui communiquent le plus par téléphone. Cela nous amène à discuter du rôle des technologies par rapport aux interactions directes.
Effort
Dans l’idée de capital social, l’individu produit un « effort » qui peut bénéficier à ceux avec
qui il interagit. La sociabilité est définie comme l’ensemble des interactions sociales qu’un individu développe au quotidien : la finalité n’est pas d’accumuler un « capital » ; le terme « sociabilité » a donc un sens un peu plus large.
Débat en hors-ligne
Temporalité
Le débat a été divisé en deux parties, puisque environ à la moitié de celui-ci deux jeunes femmes de 35 / 40 ans nous ont rejoints. La durée du débat a été d’environ 3 heures.
Quelques paroles recueillies
Au delà du Covid, la solitude a beaucoup augmenté et cela augmente aussi la communication en ligne
Les gens se surinvestissent dans le télé-travail et donc utilisent beaucoup les communications en ligne pour la sociabilité de lien faible.
La sociabilité “en-ligne” ouvre des possibles en nombre, en distance dans les liens faibles et forts.
Selon le goût pour le médium, la sociabilité est modifiée.
L’évolution de la société, fait que les femmes quittent plus facilement leur mari. Il y a donc plus de femmes et d’hommes seuls qui ont fait leur vie et ne veulent pas s’engager. Les rencontres en ligne (Tinder) sont moins engageantes. Il est plus facile de rompre une relation amoureuse si c’est une relation créée “en ligne”. Dans les relations hors ligne il y toujours des connaissances communes.
La présence physique est un engagement.
Devant l’écran on contrôle la relation, je peux couper la communication, le son, l’image.
En ligne, je ne risque rien.
Sur Tinder (application de rencontre) le lien n’est pas établi. C’est un capitalisme de la relation.
La relation “en ligne” est moins impliquante, moins engageante mais plus chronophage.
La drague en ligne ne garantit pas l’exclusivité. Le garçon peut parler à plusieurs personnes en même temps, c’est très déplaisant. On se sent dans une sorte d’inégalité: que fait l’autre ?
Mais un paradoxe réside: en “hors ligne” on réinvente des codes, “en ligne” les filles et les garçons sont à égalité. MAis une fois en physique les choses redeviennent comme avant. Les filles ne font pas le premier pas.
La rencontre en ligne établit une sorte de chronologie à l’envers. On se confie d’abord “en ligne” pour apprendre à se connaître un peu avant de se rencontrer éventuellement. Alors que dans la rencontre réelle, on se voit en premier lieu puis on se confie si on sent que l’on peut entamer une relation.
C’est une recherche (la recherche de partenaire avec Tinder) égocentrée
Malgré tout les avantages décrits sur le relation “en ligne” (protection, moins de risques…) les jeunes femmes défendent la relation “hors ligne” ardemment mais se disent comme “handicapées” à la mettre en pratique, il est très difficile voire impossible d’aller vers un garçon pour établir une relation, une communication. On ne sait pas faire.
La question s’est posée: est-ce même de la sociabilité ? Puisque la nécessité de protection l’emporte sur l’engagement ? (est sous-entendu ici que la rencontre présuppose un engagement).
Vit-on pleinement une relation dans le virtuel, une relation “en ligne” ?
Peut-on vivre le moment présent ? Savons-nous le faire ?
Où est passée la poésie ?
L’engagement demande un effort, aussi la conversation devient compliquée.
La société est une instance de “grand” groupe, un collectif et dans les réseaux sociaux on a affaire à des petits groupes. C’est différent.
Conclusion sur le fond
Selon la nature de la relation (faible, forte, amour, amitié, travail) et la représentation du lien social attachée, il est plus ou moins facile selon le goût pour le médium de créer des sociabilités “hors ligne” ou “en ligne”. S’il est souhaitable de téléphoner à l’inspecteur des impôts plutôt que de prendre un rendez-vous, la sociabilité “en ligne” pour vivre une relation amoureuse “C’est mieux que rien”.
La capacité à créer des liens en ligne est facilité par l’offre de rencontre (mécanisme de proposition des réseaux sociaux), par le faible effort nécessaire pour le faire ( je n’ai pas à sortir de chez moi, ni même à m’habiller) et par le faible impact sur la socialité existante : “Quand je romps avec une connaissance rencontrée hors ligne, c’est toujours compliqué? C’est toujours un ami d’un ami ou un cousin d’une copine …Sur le web, il suffit de ne plus répondre et voilà, on a rompu.”
Cette facilité nous fait penser que la théorie du nombre de Dunbar trouvait peut-être une nouvelle limite. Mais que si le nombre d'amis n’est plus limité par l’effort à fournir pour conserver ses amitiés : “Avec facebook, je reprends contacts quand je veux”, la multiplicité des liaisons sociales aboutirait peut être à une dilution de la valeur du lien.
Un peu comme si notre sociabilité était un potentiel émotionnel limité que nous devrions partager entre toutes nos relations devenues soudainement trop nombreuses.
Il y aurait donc une baisse de la valeur de la liaison sociale compensée par un plus grand nombre de liaisons, la facilité de s’en créer de nouvelles et de conserver et réactiver les anciennes.
Conclusion générale
Plus facile à créer, moins exigeante les relations en-ligne nous poussent à nous poser la question de la perte de faculté que nous apporte toujours la technologie. Comme nos annuaires privés sur nos téléphones portables nous privent de notre mémoire (Combien savions-nous de numéro de téléphone avant nos portables et combien aujourd’hui ?) les propositions de nouvelles liaisons faites par les outils de réseaux sociaux nous privent de notre capacité à aller vers les autres et à maintenir sans assistance ces liaisons sociales.
Des outils trop puissants peuvent nous ôter notre habileté.
Une fois rapportée à la valeur de l’effort, la liaison sociale n’a plus que la valeur du faible temps nécessaire. Elle est de plus toujours mise sous pression par la question : “En cherchant encore un peu, ne vais-je pas trouver mieux”.
Notre sociabilité hors ligne nous apparaît alors lourde, empruntée et risquée et celle en ligne sans valeur.