A
partir du dossier de PhiloMag
: https://www.philomag.com/dossiers/penser-cest-dire-non nous nous interrogerons sur
la négation déclarée comme position.
Au départ bien sûr la phrase d’Alain
Penser, c’est dire non. Remarquez que le
signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la
tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que
l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle
rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre
elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me
trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je
consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran
est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine
vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes
sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit.
Qui croit seulement ne sait même plus ce
qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. Je le dis aussi
bien pour les choses qui nous entourent. Qu’est-ce que je vois en ouvrant les
yeux ? Qu’est-ce que je verrais si je devais tout croire ? En vérité une sorte
de bariolage, et comme une tapisserie incompréhensible. Mais c’est en
m’interrogeant sur chaque chose que je la vois. Ce guetteur qui tient sa main
en abat-jour, c’est un homme qui dit non. Ceux qui étaient aux observatoires de
guerre pendant de longs jours ont appris à voir, toujours par dire non. Et les
astronomes ont de siècle en siècle toujours reculé de nous la lune, le soleil
et les étoiles, par dire non. Remarquez que dans la première présentation de
toute l’existence, tout était vrai ; cette présence du monde ne trompe jamais.
Le soleil ne paraît pas plus grand que la lune ; aussi ne doit-il pas paraître
autre, d’après sa distance et d’après sa grandeur. Et le soleil se lève à l’est
pour l’astronome aussi ; c’est qu’il doit paraître ainsi par le mouvement de la
terre dont nous sommes les passagers. Mais aussi c’est notre affaire de
remettre chaque chose à sa place et à sa distance. C’est donc bien à moi-même
que je dis non.
19 janvier 1924
Alain
Reprise enduite par Dérida :
Martin Graceffa
analyse le livre éponyme de Dérida : « La pensée ne reste elle-même qu’autant
qu’elle dit « non » à l’apparence. Elle ne dit jamais « oui » que trop tôt,
précipitant ainsi sa chute hors d’elle-même. Citant de nombreux autres passages
d’Alain, Derrida approfondit cette affirmation pourtant classique du Professeur
de philosophie, faisant de la pensée une conscience en éveil permanent. Il fait
le lien avec d’autres thèses fondamentales du philosophe, telles que l’identité
entre la conscience psychologique et la conscience morale : la pensée, comme négation
ou refus, est donc toujours aussi résistance à ce qui est en vertu de ce qui
doit être. »
Alors dire Oui ou dire Non ?