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11 mai 2024 - peut-on cultiver la joie ?


Soyons concis dans un premier temps, la joie est conseillé par tous, ok ? 

Mais peut-on apprendre à être joyeux ou encore si la joie nous surprend comme un moement de folie coment retenir ou mieux encore cultiver la joie ?   

  
Joie : 
Du latin gaudium (satisfaction) ou laetitia (« plaisir à jouir d’un bien »). Émotion vive, souvent accompagnée d’un sentiment de plénitude, éprouvée par l’individu lorsque ses désirs et ses besoins sont satisfaits. La joie se distingue donc du plaisir par sa durée et son intensité, mais aussi du bonheur, qui est davantage un idéal. En religion, elle est un don de l’Esprit qui peut mener à la béatitude. Chez Platon, la joie peut être rapprochée de l’enthousiasme éprouvé par celui qui est inspiré comme l’est le poète ou l’amoureux. Elle est alors exubérante dans ses manifestations. C’est une sorte de folie dont Érasme, à la Renaissance, fait la louange. Mais c’est surtout au XVIIe siècle que la joie est repensée par les philosophes rationalistes : Descartes voit en elle l’une des six passions primitives et la définit comme « une agréable émotion de l’âme en laquelle consiste la jouissance qu’elle a du bien que les impressions du cerveau lui représentent comme sien ». Sa cause la rend cependant ambivalente : la joie de l’ivrogne appelle la méfiance. Chez Spinoza, la joie, davantage intellectualisée, témoigne d’un accroissement de la puissance de connaître. C’est « le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». Pour Nietzsche, elle exprime la volonté de puissance en tant qu’acceptation joyeuse de la vie. De nombreux philosophes français contemporains (En particulier Gilles Deleuze, Clément Rosset, Robert Misrahi, André Comte-Sponville) valorisent la joie pour tempérer le tragique de l’existence, tout en dénonçant l’obligation sociale de vivre dans une « euphorie perpétuelle » (Pascal Bruckner).



Fou de joie
La joie, au contraire du bonheur et du divertissement, n’esquive pas le réel, n’ignore rien de la cruauté des choses, de la mort. Ni optimiste ni pessimiste, elle invite à voir le monde tel qu’il est.

Eugène Ionesco raconte : « Ils fêtent. Ils sont tous en vêtements de fête, dans une maison parée pour la fête, ils échangent des cadeaux, ils rient comme… s’ils ne savaient pas qu’il y a le gouffre. » Mais où ont-ils la tête ? et où ont-ils le cœur ? La joie est une honte, un crachat, un rictus égoïste, un concept bourgeois, un youpi métaphysique, un scandale, face au scandale du monde. La joie ? Ta gueule.

– Quoi, ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a, ma gueule ? Quelque chose qui va ? Arrête, malheureux… En accusant le réel, en s’indignant du non-sens comme d’une trahison, en lestant tout présent de la mort à venir, ta plainte prolonge la douleur contre laquelle elle s’insurge. Préserve-toi, un peu.

– À quoi bon ? Je souffre déjà. Et en riant malgré le monde, en dansant sur les décombres, la joie fait le lit du plus fort ; sais-tu, mon salaud, combien d’enfants agonisent tandis que je t’insulte ? Si oui, tu es un monstre, sinon tu n’es qu’un fou.

– Un fou, peut-être, mais un fou de joie qui, n’en déplaise aux bourreaux, se refuse à mourir de son vivant.

– Facile à dire quand tout va bien.

– Qu’en sais-tu ? Crois-tu que j’ai la tête ailleurs ? Moi aussi, je vais mourir. Que je me fiche des souffrances qu’on m’épargne ? Détrompe-toi, coq mou, tu n’as pas le monopole du cœur.

«La joie est le gai savoir qui ne chasse pas les idées noires, la faculté d'être le contemporain de ses émotions.»
– Non, mais celui du courage, poule mouillée.

– Tu te trompes ; je suis moins lâche que toi, dont la colère assure la bonne conscience. Ceux qui reprochent à la joie de détourner le regard font d’elle un synonyme du bonheur ou du divertissement, une façon d’oublier un peu la machine (et donc, d’en être tributaire), ou de passer la vie à ne pas admettre qu’elle s’achève. Or le divertissement surgit tout entier du malheur qu’il conjure, alors que la joie, indifférente aux circonstances, folle et sage à la fois, ne masque en rien la cruauté des choses. La joie n’est pas un sédatif, la joie n’est pas l’oubli du monde, au contraire ; elle n’a ni cire dans les oreilles, ni bandeau sur les yeux, et rien de ce qui existe ne lui est étranger. Dans sa fuite éperdue, l’homme du divertissement n’en a jamais assez ; dans l’adhésion paradoxale à tout ce qui est, dans la présence obstinée aux malheurs et aux plaisirs dont il ne dépend pas, l’homme de joie n’en a jamais trop.

– Soit. Je t’accorde que la joie n’est pas le divertissement, mais quelle raison, alors, d’être joyeux dans ce monde qu’on regarde en face ?

– Aucune, mais l’absence de raisons d’être joyeux est-elle une raison suffisante de ne pas l’être ?

– Tu fais le malin ? Va mourir ! Va au diable avec tes sophismes d’homme-bulle, et demande-lui ce qu’il en pense ! Les génocides, les famines, les viols et les meurtres dissuadent tout homme digne de ce nom d’envisager un jour la possibilité même de la joie. Si, comme tu le dis, tu sais de quoi le monde est fait, si tu n’ignores pas de quoi l’homme est capable, alors je t’accuse et te condamne de ne pas t’en indigner.

– Halte-là, monsieur le juge ! Nous sommes tous des condamnés, mais ceux qui accusent la joie d’approuver le réel jusqu’à ses infâmies sont les mêmes qui voudraient abolir le mal en atténuant la douleur, ou qui espèrent, par la colère, mettre, un jour, un terme à la souffrance des hommes, comme s’il pouvait suffire d’une saignée pour guérir de la peste.

– Bien sûr que je l’espère ! Je vis dans cet espoir, sans lequel la vie n’est qu’un désastre, une tragédie.

– Mais elle l’est, triste sire ! C’est toi qui esquives le réel en continuant, malgré l’évidence, d’espérer en lui. Tout espoir témoigne d’une existence maladive, d’une volonté exténuée qui suspend le bonheur aux faveurs dont l’existence est avare.

– La joie est donc pessimiste ?

– Dieu l’en garde.

– Optimiste ?

– Pour rien au monde.

– Alors, je n’y comprends rien.

– C’est que tu vois double au lieu de voir clair. La joie est simple, d’une simplicité déconcertante, conforme à l’unicité d’un monde dont les horreurs et la beauté maquillent successivement l’indifférence. La joie enseigne qu’optimisme et pessimisme sont des jumeaux boiteux qui se tiennent la main dans un refus commun du réel, et que tout espoir expose au regret comme une cause à ses conséquences. En somme, c’est l’espoir qui rend triste, ou pire : c’est la tristesse qui invite à l’espoir. Face au monde, la tristesse manque de sérieux.

– Tu déraisonnes.

– Oui, monsieur.

– À te croire, la joie est plus sérieuse que la tristesse.

– À tous égards : la joie est le sérieux suprême de ceux qui ne se prennent pas au sérieux, le gai savoir qui ne chasse pas les idées noires, la faculté presque animale d’être le contemporain de ses émotions et d’en accueillir les contradictions sans les juger, la puissance d’une incertitude qui éprouve le devenir comme une promesse renouvelée, qui remplace l’inquiétude par la confiance et les larmes par la méditation, qui oppose à la déception le refus de l’espoir et ce faisant, obtient du réel infiniment plus qu’il n’offre : tel un deuil réussi qui transforme une perte en occasion de vie, la joie opère la conversion du souvenir en avenir, du chagrin d’amour en littérature, du « devoir de mémoire » en leçon pour demain. En acceptant le présent, elle en fait un cadeau. Loin de fuir le réel ou de nous en distraire, la joie porte, à l’inverse, le témoignage de la vie au cœur même du malheur. C’est en consentant à l’horreur (au motif imparable qu’elle existe) que la joie résiste à son triomphe. Malgré l’insouciance qui la désigne, elle est aux antipodes des petits plaisirs qui tuent le temps. À l’image de Job découvrant, au terme de son calvaire, que la vérité de la foi consiste à aimer Dieu sans retour, la joie est un amour que n’accompagne l’idée d’aucune cause extérieure. Loin de naître de l’événement heureux qui, dans le meilleur des cas, lui fournit un prétexte, la joie est à l’épisode qui la suscite ce qu’un geste est à une intention, ce qu’un baril de poudre est à sa mêche, ce qu’une série de cercles majestueux est au petit caillou qu’on a jeté dans l’eau du lac, un fruit plus lourd que sa branche, une conclusion plus ample que ses prémisses. Tout comme l’amour véritable échappe aux raisons qu’il se donne, la joie transcende les « causes » qu’on lui attribue (on aime parce qu’on aime et, à dire vrai, on est joyeux pour rien), tout comme les gens se fâchent parce qu’ils se détestent (tout en croyant se détester parce qu’ils se fâchent), ce n’est pas quand tout va bien qu’on est joyeux, mais c’est parce qu’on est joyeux que tout va moins mal.