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Lycée - 14 mai 2024 - Peut-on lancer un nain qui le veut bien ?

L’affaire dite du lancer de nain

Le Maire de Morsang-sur -Orge avait interdit sur sa commune une attraction foraine dite "du lancer de nain". L’arrêté municipal avait été attaqué devant le TA de Versailles qui en avait ordonné l’annulation. Saisi par un pourvoi, le Conseil d’Etat annule ce jugement en insérant la dignité de la personne humaine à la liste des "principes généraux du droit" qui autorisent par décret ou arrêté les autorités publiques à prendre telle ou telle décision fondée non sur une loi (inexistante) mais sur l’un de ces principes dégagés par la jurisprudence administrative ou constitutionnelle.

Le paradoxe de cette affaire est le suivant : le nain était parfaitement consentant et c’est sa dignité qu’il mettait en avant à l’appui de sa requête contre l’arrêté municipal : selon lui, ce travail lui avait redonné sa dignité (avant il vivait du RMI).

Or, le Conseil d’État ne lui a pas donné raison : à la dignité invoquée par le nain, il a été opposé la dignité humaine , définie comme attribut de l’humanité.

Les devoirs envers soi-même : toute instrumentalisation de soi est immorale.

Kant, Leçons d’éthique, Livre de poche, p.230.

« Celui qui renonce à sa liberté et l’échange pour de l’argent agit contre l’humanité. La vie elle-même ne doit être tenue en haute estime que pour autant qu’elle nous permet de vivre comme des hommes, c’est-à-dire non pas en recherchant tous les plaisirs, mais de façon à ne pas déshonorer notre humanité. Nous devons dans notre vie être dignes de notre humanité : tout ce qui nous en rend indignes nous rend incapables de tout et suspend l’homme en nous. Quiconque offre son corps à la malice d’autrui pour en retirer un profit – par exemple en se laissant rouer de coups en échange de quelques bières – renonce du même coup à sa personne, et celui qui le paie pour cela agit de façon aussi méprisable que lui. D’aucune façon ne pouvons-nous, sans sacrifier notre personne, nous abandonner à autrui pour satisfaire son inclination, quand bien même nous pourrions par là sauver de la mort nos parents et nos amis. On peut encore moins le faire pour de l’argent. Si c’est pour satisfaire ses propres inclinations qu’on agit ainsi, cela est peut-être naturel mais n’en contredit pas moins la vertu et la moralité ; si c’est pour l’argent ou pour quelque autre but, on consent alors à se laisser utiliser comme une chose malgré le fait qu’on soit une personne, et on rejette ainsi la valeur de l’humanité. »

Le lancer de nain est-il moral ?

Par Juliette Briens

"L’argument ultime (et unique argument) des anti-lancer est l’indignité humaine. Le nombre de nains lancés dans un cirque français dépasse péniblement le millier par an. Soit une goutte d’eau en comparaison des avortements de nains, du taux de chômage de ces derniers, du trafic pornographique des nains, ou de leur sacrifice tribal dans certains pays d’Afrique. Seulement le lancer de nain est un art, donc visible de tous, par son spectacle vivant et ses multiples représentations artistiques. Une cible facile qui offre la place à toutes les démagogies puisque seul le respect de la dignité est convoqué par les procureurs. Comme si Nicky Koskoff, Papacito, Aragorn, Manuel Wackenheim et toute l’aficion en étaient dépourvus. Comme s’ils se foutaient éperdument de voir un nain dégradé, et même en affreux sadiques, y prenaient un certain plaisir. Non, bien sûr que non. Jamais un amateur de lancer de nain ne prendrait plaisir à voir une personne de petite taille se faire « projeter » comme ils disent. Au contraire, l’aficionado l’admire. Il se lève quand le nain vole loin dans l’aurore, il applaudit quand il s’écrase au sol librement malgré les matelas de sécurité et hurle si le demi-homme n’a pas le corps raboté, et ne serait donc pas en pleine possession de ses moyens pour planer, ou si l’allumeur le pousse trop à l’écrasement."