Dette de sang, dette envers sa famille, dette karmique, dette d'honneur, dette écologique, dette de jeu, dette morale, dette privée, dette publique ...
La notion de dette est par nature polysémique. Elle renvoie parfois à la somme d’argent dont il faut s’acquitter et de façon plus générale à l’obligation de rendre des comptes qui rapproche alors la dette du devoir moral ou de l’expiation religieuse. L’étude linguistique permet d’établir une parenté étymologique dans un certain nombre de langues entre la « dette », le « devoir », la « faute » et la « culpabilité ». En français, le verbe « devoir » traduit autant la dette matérielle que le devoir moral. En allemand, le terme Schuld signifie aussi bien la dette matérielle que la faute morale ; de même schuldig désigne le « coupable » et le « débiteur ». De cette parenté, on pourrait déduire, comme le fait Nietzsche, une antériorité de la dette et montrer que les sentiments moraux, tels que le devoir et la faute, dérivent des relations créancier-débiteur, que la morale a pour fondement une économie primitive dont elle est l’expression déguisée. Cependant, la dette primitive dépasse le champ de l’économie. Elle inaugure dès l’origine non seulement un lien social mais aussi un rapport moral original.
La dette a une dimension ontologique fondamentale et ne peut se réduire à une simple métaphore du devoir, de la faute ou de la culpabilité. Elle est fondatrice d’une éthique et d’un statut éthique de la subjectivité qui s’écarte de la morale traditionnellement comprise en termes de devoir, de faute et de culpabilité.
La dette de la France est élevée, Mais comment un pays peut-il avoir des dettes, qui est un pays, en sommes nous héritiés, actionnaires ? Sommes nous redevables de cette dette que nous n'avons pas individuellement contractée?
La dette publique peut même devenir une dette morale pour
George Soros, qui déclare : “Un pays surendetté est un pays
moralement coupable de laisser aux générations futures le poids du
remboursement.” Comment pourrait-il en être autrement ? Cela veut-il dire que
la dette est toujours condamnable ?
La dette est-elle une vision partielle du crédit. "Je te fais crédit" signifiant tu payeras "quand tu pourras" et comme tu pourras et tu as une dette :« paye », puisqu’il faut bien payer ses dettes. A quel moment, par quelle magie le crédit se transforme-t-il en dette ? Pourquoi ne pouvons-nous vivre sans dette ou pourquoi ne le faisons-nous pas (au moins au niveau de l’état), est-ce lié à sa nature (financière ou autre) et avoir des dettes qu'est-ce que cela signifie pour nous ? Comment se désendetté ? Est-ce possible ? Pourquoi la dette ?
Les dettes : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/les-dettes-4548500
- Nathalie Sarthou-Lajus : L'éthique de la dette
LE SENS PHILOSOPHIQUE DE LA DETTE
Le sens propre de la dette est économique et juridique. Le fait de contracter une dette exprime une obligation de rendre pour compenser la perte d'un bien ou un dommage causé. La notion de dette est ainsi discréditée en philosophie dans la mesure où elle semble porter sur de l'avoir : elle paraît exté-rieure à l'être de l'homme. Cependant, le sens de la dette excède sa dimension strictement économique et juridique. Nietzsche a sûrement contribué à la réhabilitation philosophique de la dette en présentant, dans La généalogie de la morale, le rapport primitif créancier-débiteur comme le fondement même du lien social. La dette permet en effet d'envisager toute la richesse et la com-plexité des rapports sociaux qui ne se réduisent pas au donnant-donnant de l'échange. Il apparaît ainsi que le fait social fonda-mental n'est ni l'échange, ni même le don mais la dette. En ce sens, comme le soulignent G. Deleuze et F. Guattari : « Le grand livre de l'ethnologie moderne est moins L'essai sur le don de Mauss que La généalogie de la morale de Nietzsche. »' Le régime de la dette renouvelle la compréhension du lien social par la mise en évidence de la structure de dépendance qui le sous-tend. La dette est en effet à l'origine d'un rapport social foncièrement asymétrique qui rompt la logique paritaire de l'échange. L'hypothèse d'un endettement originaire impose definitive-ment la dette comme concept philosophique fondamental. La compréhension d'une subjectivité débitrice remet en question l'existence d'un sujet traditionnellement conçu comme une ins-tance première et souveraine. La dette fonde une figure de la subjectivité qui reconnaît la précarité de sa condition et avoue son essentielle dépendance à l'endroit de l'autre et du temps. Le sujet débiteur est en effet tributaire de l'autre et du temps qui apparaissent comme ses principaux créanciers et le dépossèdent d'une existence dont il n'est pas l'auteur. Il est appelé à se cons-truire avec l'autre et dans le temps, au prix d'un effort intermi-nable qui déjoue toutes tentations de domination et d'appro-priation. La dette oppose ainsi à l'impatience à être soi-même, manifeste dans la volonté d'accomplir immédiatement ses désirs et de considérer le présent comme le seul absolu, une existence faite d'attention à l'autre et d'attente. L'hypothèse d'un endettement originaire n'accorde-t-elle pas alors trop de pouvoir à l'autre et au temps au lieu d'escomp-ter sur le sujet lui-même ? La dépendance du sujet débiteur risque d'être identifiée à une situation d'impuissance et de désoeuvrement qui empêche l'homme d'agir et de donner un sens propre à sa vie. L'existence du sujet débiteur ne s'organise plus en effet à partir de lui-même mais d'une instance extérieure qui représente une menace d'aliénation lorsqu'elle exerce un rapport de pouvoir contraignant. La dette n'est pas cependant un mal en soi qui contaminerait le tissu temporel et la relation à l'autre du sujet. Elle porte aussi le secret d'une appréciation positive de la dépendance comprise non comme un renonce-ment à soi mais comme un consentement à sa finitude. La sub-jectivité qui s'accepte débitrice dans son être consent à laisser du pouvoir à l'autre et au temps, s'ouvre à ce qui advient du dehors dans la mesure où elle se refuse à la prétention violente d'être le seul principe de son existence.
La dette est omniprésente dans les débats économiques mais cette dette qu’elle soit publique ou privée est toujours appréhendée dans sa dimension financière ce qui, implicitement, met l’accent sur l’obligation de la rembourser. Cette conception restreinte de la dette traduit une vision de la société comme exclusivement constituée de rapport d’échanges et de marché. Or, la société n’est pas que cela et la dette non plus. La dette est polymorphe. Le reconnaître modifie notre vision de la société. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/de-quoi-la-dette-est-elle-le-nom-4545283
Mais la dette est-elle le seul moyen de concevoir un échange ?
Quels sont les mécanismes de la dette ?