Accéder au contenu principal

Donner, c'est donner ? - Collège le 13 /02/2025


Le don est-il toujours un don, l'est-il même parfois ? Avons-nous toujours une attente quand nous donnons à l’autre ? Ne serait-ce que de changer l'image que nous avons de nous, le don n'est-il pas une façon d'interférer avec le monde dans l'attente d'un contre don ? 

Sans la phrase donner du sens à sa vie, n’étions-nous pas en fait dans l'attente qu'elle nous renvoie le bonheur en retour ? 

Celui qui reçoit d'un ami, un cadeau à Noel et qui ne peut le rendre n'est -il pas dans l'embarras ?

Le don anonyme le peut être anonyme pour celui qui donne. Comment savoir alors que le don n'est pas un moyen d'obtenir de la fierté ou un contre don. 

Pourquoi le don est-il au coeur de l'ethique ? https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-philo/pourquoi-le-don-est-il-au-coeur-de-l-ethique-3673294



-------------------

PHILO – "Essai sur le don" par le père de l'anthropologie française, Marcel Mauss

Par Franck Olivar

Publié le vendredi 25 juin 2021 à 20h20

Offrir un pot de départ ou accepter des cadeaux, n’est-ce pas rendre la pareille ? Dans son « Essai sur le don » paru en 1923, Marcel Mauss, le père de l’anthropologie, examine les processus et formes de « dons » dans les sociétés anciennes et modernes.

Refuser de donner, négliger d'inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre ; c'est refuser l'alliance et la communion. 

Publié en 1923 -1924, Essai sur le don est un texte à la fois scientifique, philosophique et politique car son auteur Marcel Mauss, agrégé de philosophie et considéré comme l’un des pères de l’anthropologie moderne, sera toute sa vie l’un des leaders du socialisme et du mouvement coopératif. D’abord publié en « pages désordonnées » dans la revue L’Année sociologique fondé par Emile Durkheim, ce texte,  Essai sur le don , qualifié de « révolutionnaire » par Claude Lévi-Strauss, « allait devenir l’un des plus importants des sciences sociales » selon le sociologue Alain Caillé qui a participé à la redécouverte de Marcel Mauss.  

Dans cet essai, Marcel Mauss s’intéresse à ce qu’il nomme « les formes archaïques du contrat » en examinant les procédés et coutumes du don dans « des aires déterminées » : la Polynésie, la Mélanésie et le Nord-Ouest américain. L’anthologue tire rapidement quelques conclusions : d’une part ce don n’est pas « une Économie naturelle » et demeure la pratique non d’individus mais davantage de collectivités qui s’obligent mutuellement. D’autre part Marcel Mauss met alors en évidence que sous couvert de pratiques de générosité, de gratuité et de liberté, le « don » induit un « contre-don ». 

En clair dans la grande majorité des sociétés, y compris la nôtre, il existe un cadre très strict de règles et codes sociaux qui obligent à donner, à recevoir et à rendre. 

Cet ensemble de convention qu’il nomme « prestation totale » concoure à la cohésion sociale : « La prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les cadeaux reçus ; mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une part, obligation d’en recevoir, de l’autre. »

Le don est à la fois ce qu'il faut faire, ce qu'il faut recevoir et ce qui est cependant dangereux à prendre.

Dans sa conclusion l’anthropologue transpose ses observations à notre société occidentale moderne ce qui provoque encore aujourd’hui de vifs débats dans les cercles intellectuels. Le philosophe français Jean Joseph Goux affirme que : « Mauss veut étendre ses observations à notre propre société, comme s’il s’agissait d’un phénomène unique, ou du moins du même ordre. Mauss est aveuglé par sa découverte ».

Le terme même de « don » ne fait pas l’unanimité puisque dans notre société, le don est défini comme gratuit ce que confirme la définition du dictionnaire Le Robert : « Ce qu’on abandonne à quelqu’un sans rien recevoir de lui en retour ».

Cependant nombreux sont ceux qui reconnaissent le caractère précurseur de l’étude de Marcel Mauss ainsi que son aptitude à faire évoluer sa pensée au fil des pages afin de différencier le don archaïque et le don moderne.

Marcel Mauss attire notre attention sur un aspect concernant les propriétés et le « don » d’objets : « Les choses vendues ont encore une âme, elles sont encore suivies par leur ancien propriétaire ». Ainsi les Maoris croient dans le « hau » c’est à dire l'« esprit des choses », l’inanimé est habité de « mana » (force magique, religieuse et spirituelle). Marcel Mauss raconte également les usages encore en cours dans certaines campagnes françaises où lors de « transactions », il est courant de « frapper la chose vendue » comme pour « la détacher du vendeur ». 

Le don dans notre société moderne

Examinant notre société « moderne », Marcel Mauss se félicite qu’« heureusement, tout n’est pas encore classé exclusivement en termes d’achat et de vente ». Ainsi les choses ont encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale et ces pratiques hors morale marchande s’expriment à certaines époques de l’année ou à certaines occasions. Cependant ces « dons » répondent aux mêmes exigences, aux mêmes trois temps du don : donner, recevoir et rendre... Songez aux fêtes de noël et aux traditionnels échanges de cadeaux qu’accompagnent immanquablement les « ce n’est rien » suivi d’un « il ne fallait pas.. » sans oublier le « merci », le fameux « mot magique » que l‘on inculque aux enfants dès le plus jeune âge. 

Il y a donc là une triple obligation qui crée d’une part un état de dépendance et d’autre part autorise la recréation permanente du lien social. Dès lors, lorsque l’un manque, les conséquences peuvent être lourdes comme pour « le don non rendu (qui) rend encore inférieur celui qui l’a accepté, sans esprit de retour » comme le souligne Marcel Mauss :

La charité est encore blessante pour celui qui l'accepte, et tout l’effort de notre morale tend à supprimer le patronage inconscient et injurieux du riche « aumônier ». 

Comme le philosophe le précise, outre les cadeaux et l’argent, le don peut être immatériel et exige également son dû en retour. Prenons comme exemple l’invitation : « l’invitation doit être faite et elle doit être acceptée » ; il est ainsi dans notre vie sociale nous ne pouvons « rester en reste ». Dès lors il est mal vu lors de cérémonie de s’abstenir ce qui est présage et preuve d’envie ou de sort.

L'invitation doit être rendue, tout comme la politesse.

Plus loin dans sa conclusion, Marcel Mauss donne deux exemples significatifs de ce contre-don, l’un juridique et l’autre social qu’il illustre ainsi : le premier concerne la propriété artistique, littéraire et scientifique :

La loi française de septembre 1923 donne à l'artiste et à ses ayants droit un droit de suite, sur les plus-values dans les ventes successives de ses œuvres.

L’anthropologue nous fait remarquer que cette loi est tardive car reconnaitre la propriété artistique, littéraire ou scientifique des œuvres, créations et découvertes n’est pas de l’intérêt général. En effet « tout le monde désire qu’elles tombent au plus vite dans le domaine public ou dans la circulation générale des richesses » car elles sont considérées « comme le produit de l’esprit collectif aussi bien que de l’esprit individuel ». Dans ce domaine le système juridique a imposé un « contre-don » durable à celui qui a fait œuvre pour la collectivité. Un aspect que l’on retrouve en second lieu dans le social :

Le travailleur a donné sa vie et son labeur à la Collectivité d'une part, à ses patrons d'autre part... l'État lui-même, représentant la Communauté, lui doit, avec ses patrons et avec son concours à lui, une certaine sécurité dans la vie, contre le chômage, contre la maladie, contre la vieillesse, la mort.

Marcel Mauss nous explique que la législation d’assurance sociale s’est inspirée de ce principe tout comme les différentes caisses d’assistance familiale développées par les industriels français, allemands et belges sous l’impulsion d’économistes et des capitaines d’industrie.

Si le philosophe fût aussi un brillant anthropologue et « ethnologue sinon en chambre, du moins en musée » comme il aimait à se définir car n’ayant jamais fait de terrain ; il n’en fût pas  moins un scientifique très impliqué politiquement. Militant sur le terrain, d’abord dans un groupe de jeunes collectivistes, il adhère ensuite au Groupe d’Unité Socialiste et s’engage dans le mouvement coopératif tout à contre-courant des mouvements ouvriers, marxistes de son époque.

Le système que nous proposons d'appeler le système des prestations totales... constitue le plus ancien système d'économie et de droit que nous puissions constater et concevoir. Il forme le fond sur lequel s'est détachée la morale du don-échange. Or, il est exactement, toute proportion gardée, du même type que celui vers lequel nous voudrions voir nos sociétés se diriger.

----------------------




Posts les plus consultés de ce blog

College 6/05/2024 - Qui veut, peut ?

Quand on veut, on peut ?  Est-ce vrai, si ce n'est pas vrai alors pourquoi le dit on ? Il n’y a pas d’expérience plus commune que de vouloir vraiment quelque chose sans toutefois l’obtenir. Alors, que cache vraiment cette expression, "quand on veut, on peut" ou encore " il faut se donner les moyens" ? Pourquoi, quand on veut, on ne peut finalement pas réussir notre action ? L'expression "quand on veut, on peut" signifie d'une manière à peine voilée, que vous ne voulez pas vraiment réussir. Et tout est dans ce "vraiment" ! Comme si c'était une simple question de volonté… C’est aussi une manière de vous dire que si vous fournissiez des efforts, eh bien ils s’avèreraient payants. C’est donc comme si, de la volonté, découlaient forcément les efforts, et des efforts les résultats. En fait, derrière cette formule, se cache l’idée que le travail paie nécessairement, et donc que celles et ceux qui réussissent le méritent car il suffit de ...

Lycée - 14 mai 2024 - Peut-on lancer un nain qui le veut bien ?

L’affaire dite du lancer de nain Le Maire de Morsang-sur -Orge avait interdit sur sa commune une attraction foraine dite "du lancer de nain". L’arrêté municipal avait été attaqué devant le TA de Versailles qui en avait ordonné l’annulation. Saisi par un pourvoi, le Conseil d’Etat annule ce jugement en insérant la dignité de la personne humaine à la liste des "principes généraux du droit" qui autorisent par décret ou arrêté les autorités publiques à prendre telle ou telle décision fondée non sur une loi (inexistante) mais sur l’un de ces principes dégagés par la jurisprudence administrative ou constitutionnelle. Le paradoxe de cette affaire est le suivant : le nain était parfaitement consentant et c’est sa dignité qu’il mettait en avant à l’appui de sa requête contre l’arrêté municipal : selon lui, ce travail lui avait redonné sa dignité (avant il vivait du RMI). Or, le Conseil d’État ne lui a pas donné raison : à la dignité invoquée par le nain, il a été opposé la d...

Poutine pourrait-il avoir raison ? Serions nous décadents ? Médiathèque 28 Septembre 2024

  S'interroger sur la notion de décadence, nous semble une nécessité. La décadence est un mot peu usité et son sens est le plus souvent lié à l'usage "historique" du mot dans ce qui supposé être la chute de l'empire romain. De manière plus religieuse ou cinématographique c'est la référence à Sodome et Gomorrhe qui est activée. La définition de la décadence donnée par le dictionnaire Larousse est celle-ci : 1. État d'une civilisation, d'une culture, d'une entreprise, etc., qui perd progressivement de sa force et de sa qualité ; commencement de la chute, de la dégradation : Entrer en décadence. 2. Période historique correspondant au déclin politique d'une civilisation. Ce que nous dirait Poutine, c’est donc que notre civilisation occidentale est finissante. Nous pourrions lui objecter que les difficultés qu’il rencontre pour « achever la bête », semble bien prouver le contraire. Pourtant, sa parole raisonne dans les médias et elle nous trouble et...